Témoignage d’une professeure des écoles sur sa rentrée

20 août.

Habituellement, je cauchemarde déjà à propos de la rentrée. Je suis à Manhattan au milieu d'un carrefour. Au feu rouge, j'installe les tables et on (re)commence la conjugaison, au feu vert j'enlève les tables et la circulation reprend.

Je suis mutée tout en haut d'une montagne enneigée. C'est un établissement spécialisé. Je ne sais pas si je vais pouvoir rentrer chez moi tous les soirs.

Le jour de la rentrée, je suis affectée dans une école que je ne trouve pas, dans une classe que je ne trouve pas. Je ne connais pas le niveau. Les manuels ont disparu, l'ordinateur ne s'allume pas...

Des années sans avoir sa classe, ça laisse des traces. Mes conditions de rentrée, un peu plus réalistes que celles imaginées par mon inconscient, mais pas tant finalement, continuaient de me tourmenter dans mon sommeil.

Cette année, j'ai la chance de faire ma troisième rentrée dans la même école, dans ma classe.

Je suis allé travailler quelques jours dans ma classe cet été. Pas par zèle, non.

Mère célibataire avec deux ados, mon salaire de PE ne me permet pas de partir en vacances, enfin pas tous les ans, et pas aux pris pratiqués en juillet et en août. J'ai 16 ans d'ancienneté. Si je peux me payer un loyer en ville, c'est parce que je travaille en rep+ et touche la prime. En 2022, PE c'est toujours un job d'appoint pour femme de cadre, dirait-on. Une sorte de loisir rémunéré pour jeune mère bien comme il faut.

Je suis allé ranger ma classe de moyenne section de maternelle, pendant l'année je n'ai pas le temps, il n'y pas assez d'atsem dans l'école pour que ma classe en bénéficie, et à moins de rester plusieurs heures après la classe, le bazar s'accumule...

J'ai croisé l'atsem des petits, S., qui a déjà repris le boulot. Enfin au moins jusqu'au 31 août, parce qu'après elle ne sait pas si elle a un nouveau contrat, si elle reste dans l'école... Ça fait 8 ans que ça dure comme ça...

Cette année, on va avoir quelques nouveautés.

Mon école de REP+ fait partie d'une "cité scolaire" , un ensemble de lycée, collèges, écoles qui bénéficient d'une très importante enveloppe budgétaire à se partager.

L'enseignant imagine un projet avec le partenariat d'assos du quartier et son projet passe en commission... Que le meilleur gagne. Dans quelques années, notre cité scolaire sera autonome, municipalisée, avec un super directeur... Et la manne des subventions disparaîtra.

Pour cette rentrée, de nombreux contractuels vont débarquer dans les classes, avec l'aide de collègues volontaires, à peine rémunérés pour les aider à atterrir dans ce métier si difficile. Sans formation, toujours moins, avec toujours moins de "moyens humains".

Enfin des adultes en fait. Des adultes en face et avec les enfants, pour calmer les chagrins, discuter, aider à articuler parfois pour qu'ils s'expriment mieux et n'explosent pas de rage devant la difficulté. Une épaule qui réconforte, une main qui guide, un oeil qui veille... Dans ma classe, je suis seule avec 21 élèves.

C'est la différence entre une école au rabais avec des enseignants, des adultes qui souffrent parce qu'ils font de la merde même en se coupant en quatre, et une école qui serait simplement humaine.

Dans mon école, il y a des mômes qui ne mangent pas chez eux. Certains ne vont jamais chez le médecins... Parfois ils n'entendent pas ou mal. D'autres vivent dans des apparts envahis par les blattes.

On me parle d'un pays de cocagne, pas si lointain, où il y a un orthophoniste, une assistante sociale, une infirmière dans chaque école.

La start-up nation de la super "cité scolaire" va-t-elle aider mes élèves à avoir les mêmes chances de choisir leur vie que les enfants de cadres sup ? Au moins compenser un peu ?

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"Il n'y a pas d'argent magique." "Il faut rembourser la dette".

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"Dans son dernier classement des 500 premières fortunes françaises "Challenges" note que le patrimoine global est au plus haut, à 1000 milliards d'euros, en hausse de 30 % en seulement un an ! " (Le nouvel obs du 23 juin 2022).